Raymond Abellio et la Multipolarité
Raymond Abellio et la Multipolarité
L’écrivain et penseur français Raymond Abellio a publié un livre essentiel en 1953, titré Assomption de l’Europe. Il s’agit d’une analyse structurelle complète de la morphologie historique de l’Europe, et des raisons de sa transformation en Occident.
Je pense que la dialectique entre Europe et Occident est plus que jamais d’une actualité brûlante, et que c’est la compréhension du rapport entre Europe et Occident qui pousse chaque personne aujourd’hui à soutenir, ou l’Ukraine ou bien la Russie dans ce conflit. Pour le dire autrement, un Occidental proclamera son soutien à Zelensky, alors que quelqu’un qui se sent profondément européen ne peut que se sentir solidaire de la civilisation russe. Et ceci n’apparaîtra comme un paradoxe que pour les observateurs superficiels. Raymond Abellio explicite sa vision de l’ontogenèse des civilisations, précisant qu’elle est similaire à celle des individus. Il assigne cinq instants clefs à la vie d’une civilisation, à savoir : la conception, la naissance, le baptême, la communion et la mort, fondant ainsi une véritable symbolique historique des sacrements.
Ainsi, pour Abellio, la conception de l’Europe chrétienne se fait-elle par Jésus : le germe est déposé au sein de la matrice. Par la naissance, le nourrisson quitte la matrice pour entrer dans le monde, tout en restant tributaire de sa mère ; pour Abellio, il s’agit de la scolastique de Saint Thomas d’Aquin, qui met toute sa raison dans la foi. Le baptême consacre l’instant où la personne ne se contente plus de voir le monde : elle se voit elle-même. Elle renait de par l’acquisition de la conscience de sa propre conscience, se voyant pour la première fois comme sujet dans un monde d’objets. À la Renaissance, Galilée et Descartes mettent toute leur foi dans la raison.
Quant à la communion, il s’agit d’un moment où la civilisation change son rapport avec le monde, qui n’est plus un monde d’objets, mais un monde de sujets. Et un sujet, ça s’assujettit. En 1789, l’Europe ne se voit plus comme cause-de-soi, mais cause-de-l’univers. Elle s’appelle désormais Occident, et se confondra de plus en plus avec le monde jusqu’à ce que ce soit le monde qui devienne pleinement occidental. L’épuisement consécutif à cet épanchement indéfini mène en tout logique à la mort. Et c’est bien ce qui se passe aujourd’hui. Cependant, la loi des cycles décrite par la Structure Absolue, établie par Raymond Abellio, montre la qualité de l’inachèvement indéfini de ce processus, chaque étape historique d’une civilisation ayant des répercussions dans toutes les autres. Le prétendu statisme de la civilisation chinoise, par exemple, dénigré par Guillaume Faye pour mettre en exergue une supposée supériorité de la civilisation occidentale, n’est que le signe d’une durée plus longue de ses trois premiers sacrements. Et il est fort probable que la Chine ne franchisse en ce moment les arcanes de sa propre communion avec le monde, ce qui ne pourra qu’aboutir au remplacement de l’Occident par la sinisation complète du monde – à quoi on finira bien par trouver un nom.
Le concept de la multipolarité consiste, pour l’Europe effacée et transmutée en Occident par Descartes, à se réapproprier sa transcendance originelle en accomplissant un véritable acte nuptial avec la civilisation russe, afin de faire émerger ce Saint-Empire Paraclétique des Temps de la Fin, auquel tant de véritables écrivains européens ont rêvé, de Dante à Jean Parvulesco.
Laurent James
Раймон Абеллио и многополярность
Raymond Abellio and the Multipolarity
Tutti gli europei non possono che sentirsi solidali con la civiltà russa